Après le complètement barré Club des Punks Contre L’Apocalypse Zombie où des keupons défoncés affrontaient la fin du monde et des zombies peu communs, je n’avais qu’une envie : me replonger dans l’esprit farfelu de Karim Berrouka et retrouver sa plume incisive et pleine d’humour. Karim Berrouka c’est le chanteur et parolier de Ludwig Von 88, un groupe de punk rock français actif pendant une vingtaine d’années et de retour depuis peu. Et ce qui est certain, c’est qu’on retrouve le côté punk de l’auteur dans ses romans, à la fois dans le style mais aussi dans le côté irrévérencieux des scènes et de ses personnages. Et comme vous le savez, chez le Pugoscope on aime ça, du coup ni une ni deux dès que son troisième roman Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu est sorti, j’ai mis mes rangers et je suis allée l’acheter.
Avec leurs couvertures hyper soignées et qui attirent l’œil, les livres de Karim Berrouka chez ActuSF t’obligent à les acheter avant même de savoir de quoi ça parle. Et puis côtes à côtes dans la bibliothèque c’est joli. Pour ce troisième roman, l’auteur continue de s’attaquer à du lourd et nous propose une revisite à sa sauce de Lovecraft et de sa célèbre bestiole verdâtre tentaculaire Cthulhu. On va suivre Ingrid, une jeune femme un peu blasée qui vit à Paris de petits boulots et va se retrouver malgré elle dans un beau bourbier. Un mec étrange va l’aborder dans le métro et lui révéler qu’elle est le centre du pentacle et qu’elle a le pouvoir de sauver l’humanité. Mais Ingrid, ça lui fait une belle jambe et elle va prendre le type pour un illuminé de plus, jusqu’à ce qu’elle se retrouve embarquée par la DGSE qui enquête sur un sous-marin qui aurait potentiellement été volé par son ex, lui aussi un peu bizarre. Dès lors d’autres évènements tous plus dingues les uns que les autres vont s’enchaîner, Ingrid va rencontrer d’autres gens encore plus frappadingues qui vont l’entraîner dans un périple à travers l’Europe pour rencontrer les 5 factions. Ces 5 factions semblent toutes vénérer des divinités cosmiques tout droit sorties des livres de Lovecraft et se préparent à voter pour la résurgence ou l’annihilation de Cthulhu, l’abomination visqueuse enfermé dans sa prison de R’lyeh sous l’océan.
Qu’est-ce qui est vert, pèse 120 000 tonnes, pue la vase, n’a pas vu le ciel bleu depuis quarante siècles et s’apprête à dévaster le monde ? Ingrid n’en a aucune idée. Et elle s’en fout.
Prenant tous ces gens rencontrés pour des cinglés de la cafetière, Ingrid va se rendre compte petit à petit que, peut-être, tout ceci n’est pas si dingue que ça, et qu’il faudrait peut-être commencer à prendre ses rêves et fulgurances au sérieux, si elle ne veut pas que l’humanité finisse en Pâté de Crabe. Car qu’elle le veuille ou non, l’heure du jugement de Cthulhu est arrivée…
Encore une fois, Karim Berrouka nous livre un récit savoureux, bourré d’humour et de second degré. Un humour toujours bien dosé, jamais lourd, porté par une plume assez pointue et maniée avec brio. Comme dans Le Club des Punks, on va retrouver une bonne part d’ésotérisme et de délires cosmiques qui peuvent être déroutants si on n’a pas l’habitude. Dès la première page on se prend d’affection pour Ingrid et on s’identifie très vite à elle et à son scepticisme. Son côté "foutez-moi la paix" typiquement français est particulièrement réussi. Pour autant le personnage évolue et on admire le calme avec lequel elle affronte chaque nouvel évènement du récit. J’ai beaucoup aimé cette lecture, mais je dois dire que ce n’est pas un coup de cœur comme Le Club des Punks pour la raison qu’il y a un petit bémol selon moi, à savoir un schéma qui peut paraitre un peu répétitif dans la structure du récit, mais qui est nécessaire à l’histoire proposée. Car Ingrid va devoir rencontrer chaque faction, ce qui va prendre 80% du roman et s’enchaîner de la même façon à chaque fois. Cela dit, l’originalité de chaque faction et leur côté toujours what the fuck nous fait très vite oublier cet aspect redondant.
Ce roman rend évidemment hommage à Lovecraft sans toutefois basculer dans une idolâtrie qui n’apporterait rien de nouveau à l’histoire de base. Car l’auteur part du principe que si Cthulhu existe bel et bien, Lovecraft a peut-être écrit deux ou trois approximations dans ses livres, qui sont des histoires incomplètes et proposent un point de vue peut-être erroné. Après tout, peut-être que Cthulhu est plus qu’un horrible monstre, peut-être qu’il est nécessaire à l’humanité. Et cette relecture est intéressante et permet à Berrouka de proposer son propre récit et de partir dans la direction qu’il souhaite. L’auteur parvient donc à s’approprier Cthulhu et ses copains tout en rendant un bel hommage plein de passion à H. P. Lovecraft. Du coup, ce roman reste rempli de références de son univers, indispensables pour apprécier pleinement l’histoire, pas toujours faciles à suivre si on connaît mal Lovecraft. En cela c’est un livre moins accessible que Le Club des Punks Contre L’Apocalypse Zombie mais pour ma part, j’ai tout de même pris beaucoup de plaisir à découvrir toutes les divinités cosmiques aux noms imprononçables dont j’ignorais l’existence : Yog-Sothoth, fils des univers ; Azathoth, le tout instable ; Dagon, le maître ichtyoïde des monolithes ; Shub-Niggurath, la lubrique engeance de la multitude ; Nyarlathotep, le chaos rampant et bien sûr Cthulhu, l’abomination visqueuse. Du coup à chaque nouvelle créature énoncée, j’en allais de ma petite recherche Google tout en ajoutant des livres de Lovecraft à ma pile à lire qui atteint déjà des sommets.
Ce n’est certainement pas un amas putrescent vert vomi qui va les empêcher de se mettre minable.
Ce troisième roman de Karim Berrouka est encore une belle réussite, plein d’humour, d’ésotérisme et d'absurde, portée par un un très bon personnage féminin et c’est un bel hommage à Lovecraft qui se démarque de toutes les réécritures ou hommages qui sortent chaque année. Cependant si on souhaite commencer l’auteur et que l’on ne connait pas bien Lovecraft je pense qu’il serait plus logique de commencer par Le Club des Punks Contre L’Apocalypse Zombie, qu’il est impossible de ne pas aimer. En tout cas, ici l’auteur nous donne super envie de lire ou de relire les écrits de Lovecraft et c’est forcément une bonne chose. Du coup, ce roman me confirme que j’adore la plume de l’auteur et son humour décapant, ainsi il me tarde de lire son deuxième roman Fées, Weed et Guillotine qui se situe plutôt dans la fantasy et que je me ferai une joie d’acheter aux Imaginales cette année.
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