Steven Spielberg aime la pop culture. Il l'aime d'un amour sincère, comme on aime son film ou son livre préféré, comme on aime voir pousser les plantes qu'on a soi-même plantées et arrosées, comme on aime rêver et imaginer le soir dans son lit avant de s'endormir. Mais Spielberg aime aussi ses amis, ses contemporains comme ses modèles, ceux qu'il a aidé à se lancer comme ceux qui l'ont fait rêver. Aimer des trucs c'est quand même vachement sympa, mais ce qui est mieux s'est d'aimer à plusieurs. Et s'il nous a souvent proposé d'aimer ses créations, il nous invite aujourd'hui à aimer avec lui la création, celle qui construit les mondes de l'imaginaire et, plus largement, celle qui a façonné ce qu'on appelle la pop culture.

Affiche de Ready Player One

Voilà déjà plus de deux semaines que Ready Player One tourne en boucle dans les salles obscures, repassant l'histoire de Wade, alias Parzival, qui évolue dans l'OASIS, un monde virtuel, pour échapper à la misère du monde réel jusqu'au jour où une gigantesque chasse au trésor est organisée avec à la clé le contrôle total de l'OASIS.

On ne peut s'empêcher de voir directement en Ready Player One un espèce de test dans lequel on essaie de trouver un maximum de références pour ensuite comparer notre résultat avec nos amis. Cette démarche volontaire nous renvoie à notre propre quotidien de fan investi : qui a déjà passé du temps sur les sites comme PopCorn Garage ou Mr. Troove ? Qui n'a jamais cherché à remplir intégralement son Pokédex ou à débloquer tous les trophées d'un jeu ? Si cette démarche a d'abord suscité la méfiance dès la diffusion de la première bande-annonce, elle met en lumière une pratique inhérente à notre manière d'apprécier la pop culture.

Si on se plait à faire découvrir à d'autres nos univers favoris, on préfère généralement en discuter avec des gens aussi passionnés que nous. À l'instar du jargon professionnel, la culture possède aussi son propre langage. Et si chaque métier développe des termes techniques différents des autres, il en va de même pour les diverses branches culturelles. Steampunk, respawn, le film parle vrai et sans se sentir obligé d'apporter une explication en permanence même si, intelligemment, l'image donne une définition tacite qui ne perd pas le néophyte en route et l'inclus un peu plus à chaque fois dans ce monde de passionnés. Là encore, la bande-annonce, dans sa version française, était passée complètement à côté en parlant d'un œuf de pâques à chercher alors que, sorry not sorry les détracteurs des anglicismes, on parle beaucoup plus volontiers d'easter egg comme mentionné dans la version finale du film.

Steven Spielberg met à contribution ses amis dans son film à plusieurs niveaux. Il fait ainsi participer indirectement son copain Georges Lucas en mentionnant les padawans de Star Wars, il glisse les Gremlins de Joe Dante avec qui il a travaillé en produisant son film. Il a également demandé conseil à son collègue James Cameron, profitant de son expérience au sujet de la motion capture et lui empruntant au passage le fusil M41A qu'il avait créé pour Aliens ou sa scène du T-800 plongeant dans la lave le pouce levé. Mais Spielberg offre aussi une part bien plus active du développement à d'autres, notamment l'acteur Simon Pegg qui tient ici le rôle du co-fondateur de l'OASIS. Ce rôle en apparence anodin prend une autre dimension quand on sait que Pegg est un nerd investi qui a joué et participé à l'écriture de plusieurs productions de la pop culture, de Shaun of the Dead à Star Trek, et qu'il prend régulièrement la parole sur son blog ou en interview pour parler de la culture geek. Le compositeur Alan Silvestri a aussi été grandement sollicité et il nous livre ici une bande-originale d'une grande qualité qui fait une synthèse des différents styles qu'il a abordés dans sa carrière, sans hésiter à y intégrer des fragments de son propre travail pour Retour Vers Le Futur lorsque cela est nécessaire. Le tout en mimant parfois le style de John Williams et en incluant des petits morceaux d'autres compositeurs en piochant dans les thèmes de King Kong ou Godzilla. Bien sûr, si on retient principalement le réalisateur comme étant l'homme derrière le résultat, il ne faut certainement pas oublier l'apport des deux scénaristes. Zak Penn et Ernest Cline, l'auteur du livre Ready Player One, ont ajouté leurs pierres à l'édifice en y apportant leur sensibilité et leur vision de la culture pop.

Mais le film n'est pas seulement un produit qu'il nous incombe de consommer comme bon nous semble, c'est aussi un espace où évolue directement Steven Spielberg par le biais du créateur de l'OASIS, James Halliday, qui représente la grande figure de l'entertainment, et de son avatar Anorak à mi-chemin entre Gandalf et Dumbledore, un guide pour les générations futures. Le papa d'E.T. nous invite à nous investir dans la vie de la pop culture d'une manière respectueuse, cet appel est renforcé par la trame de l'histoire qui n'est pas sans rappeler Charlie et la Chocolaterie. Si l'amour atteint le paroxysme de sa sincérité lorsque les maîtres disparus sont mis en avant comme Stanley Kubrick ou Ray Harryhausen, il se transforme en militantisme quand il mentionne Jack Slater, le personnage principal de Last Action Hero réalisé par John McTiernan, réalisateur boudé avec hypocrisie par les studios depuis ses démêlés judiciaires et dont les fans réclament avec force le retour. Si cette référence n'est peut-être qu'un clin d’œil au premier scénario de Zak Penn, il est tout de même important de se souvenir que la culture de l’imaginaire peut aussi contribuer à faire changer les choses.

Ready Player One nous rappelle que s'il a presque toujours existé des conteurs pour nous narrer les histoires d'Artemis, de Perceval ou de Jurassic Park, c'est à nous de les faire vivre et d'en inventer de nouvelles. Les places sont infinies, qu'on écrive des fanfictions dans l'univers de son livre préféré, qu'on soit, à l'instar du personnage d'Aech, un moddeur qui transforme un jeu vidéo ou qu'on développe un film d'animation toutes les nuits devant son écran, la contribution est réelle. La fantasy, les blockbusters, la science-fiction, la bande-dessinée, les films de genre et les jeux vidéo nous rassemblent et inspirent les créateurs de demain. Et même s'il y aura toujours des condescendants pour dire que la culture pop n'est qu'un ramassis de croûtes pour enfants attardés, on sera toujours là pour défendre ses vertus divertissantes et pédagogiques.

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